Entretien avec Martin Guay de Guava Surfboards
- Surf Grand Montréal
- 29 avr.
- 6 min de lecture

🤙Salut Martin, pourrais-tu te présenter rapidement ?
Je m’appelle Martin Guay, je surfe à Montréal et je shape des planches de surf depuis une vingtaine d’années maintenant.
🤙As-tu toujours surfé en rivière ?
Quand j’ai commencé à surfer, je ne voulais rien savoir du surf de rivière.
Probablement parce que je n’arrivais pas à voir et comprendre le potentiel derrière le surf sur le Saint-Laurent. Puis, à un moment donné, j’ai mis mon orgueil de côté et j’ai découvert le plaisir de surfer en rivière. J’ai compris que je pouvais apprendre d’autres choses et que ces choses pouvaient aussi me permettre de m’améliorer en océan. Il a fallu aussi l’arrivée de très bons surfeurs pour comprendre le potentiel des vagues qu’on avait ici et de ce que l’on pouvait faire.
C’est également à cette même période que j’ai commencé à concevoir des planches pour d’autres. Or ma clientèle se trouvait ici au Québec, à Montréal. Donc si je souhaitais vendre mes planches pour des locaux, il fallait que je sois capable de surfer ici. Il fallait que je sois capable de comprendre comment les vagues fonctionnaient et comment construire des planches qui répondraient au mieux aux spécificités de la rivière.
C’est certain que surfer en mer c’est amusant et que ça offre des sensations sans pareilles. Mais quand je regarde la météo et que dans le Maine c’est peu encourageant, je préfère prendre ma planche et rester ici apprécier la beauté de nos vagues.
C’est aussi ce que j’aime dans le surf de rivière. Cette possibilité de pouvoir constamment essayer. Quand je vais à Habitat, je peux facilement prendre deux ou trois planches et essayer différentes choses. Je peux changer les ailerons ou changer d’autres trucs. À l’inverse, quand tu pars deux jours pour l’océan, c’est complexe de te dire que tu vas passer ta fin de semaine à faire des essais.
En plus, l’un des gros avantages du surf de rivière, c’est que la vague est souvent identique. Cela aide à progresser et pousse plus facilement à essayer d’autres choses.
🤙Qu’est-ce qui t’as poussé à concevoir tes propres planches ?
J’ai commencé à shaper des planches avec mon ami Rémi vers 2004. C’est à ce moment-là qu'on a commencé la marque Guava.
Au début, on voulait juste shaper des planches parce que le surf c’est quand même l’un des rares sports où tu peux fabriquer ton propre objet que tu vas vraiment utiliser. Je trouvais ça vraiment cool. J’ai toujours été un peu manuel, donc faire une planche ne me semblait pas hors de portée.
En surf, il y a toujours eu beaucoup de films qui montraient des surfeurs faire des choses impressionnantes et très techniques. Mais ce qui m’a vraiment marqué c’est la sortie de plusieurs films qui parlaient de shaping comme ceux avec Jack Johnson ou encore le film Sprout de Thomas Campbell. Ces films avaient en plus une esthétique qui me parlait et qui ajoutait un petit truc en plus.
Après cela on s’est dit qu’on pouvait sans doute aussi le faire. On a donc commandé quatre “blanks” des États-Unis et on a commencé notre aventure dans une chambre d’appartement à Saint-Henri. Mais rien n’était vraiment simple. L’espace était assez restreint et puis en 2004, on ne pouvait pas solliciter de l’aide comme aujourd’hui. Par exemple, on avait des difficultés avec nos résines qui viraient au jaune et qu’on n’arrivait pas à sabler à cause du manque d’outils adaptés.
Donc les débuts n’étaient pas évidents mais on apprenait sur le tas et on aimait ça.

🤙Et le nom Guava Surfboard alors ?
À l’époque, je baignais pas mal dans la culture rasta.
J’avais même des dreads et tout. Avec Rémi, on ne trouvait pas de nom pour notre marque. Puis un jour, on s’est amusé à faire la liste des sons de Bob Marley et on est tombé sur la chanson Guava Jelly. On a donc choisi Guava Surfboard.

🤙Peux-tu me parler de la première planche que tu as shapée ?
La première planche qu’on a faite était une copie d’un surf qu’on avait acheté en Indonésie.
C’est vraiment le premier conseil que je donnerais à toute personne qui veut commencer à concevoir elle-même sa planche : il faut faire une imitation d’une planche qui existe déjà.
Copier une planche existante c’est vraiment un bel entraînement. Honnêtement au début tu n’as pas encore le regard assez affûté et pas suffisamment de références pour parvenir à faire une bonne planche. En plus quand tu copies, tu peux toujours te référer à l’original et essayer petit à petit de comprendre comment fonctionnent les volumes, les rails, la taille du nose et tout ce qui fait qu’une bonne planche est une bonne planche.

🤙Qu’est-ce qui a été le plus dur quand tu as commencé ?
Je pense qu’au début, le plus dur était d’être un précurseur du shaping à Montréal.
On ne parlait pas le même langage que ceux qui utilisaient la résine pour des projets industriels. Quand tu crées ta planche de surf, tu as des paramètres et des besoins très éloignés de ceux qui travaillent dans la construction ou le bâtiment par exemple. Pour nous une résine qui vire au jaune, c’est problématique. On a souvent une finalité esthétique qui est ignorée par d’autres. C’est pour cela qu’au début, on a facilement “scrapé” une quinzaine de planches, juste pour appréhender le matériel et ses contraintes.
On ne pouvait pas demander de l’aide puisqu’on était les premiers à le faire.
En plus, il n’y avait pas encore l’essor de Youtube comme aujourd’hui. On devait acheter des DVD et essayer de reproduire ce qu’on voyait avec ce que l’on avait à disposition. C’est seulement vers 2007 que nos planches ont commencé à se populariser. Le surf de rivière s’est aussi un peu plus démocratisé, ce qui nous a permis de rentrer en contact avec plus de planches et faire davantage de modèles. Mais les essais et erreurs sont nombreux et font partie intégrante du travail de shaper.
Une autre difficulté qu’on a rencontré c’est l’espace que cela prend de vouloir concevoir nos propres planches. On s’est vite rendu compte que le faire dans un appartement ce n’était pas possible. On ne pouvait pas non plus faire de la résine dehors, car c’est très difficile de contrôler tous les paramètres. Bref, il nous fallait un atelier. Mais on s’est à nouveau rendu compte qu’avoir un atelier c’est bien, mais que si l’atelier n’a pas de ventilation ce n’est pas possible.
Heureusement qu’on était deux dans cette aventure au début. Car cela prenait beaucoup de motivation, mais aussi une certaine assurance pour croire dans ce projet, et de l’assurance, Remi en avait à vendre. On se complétait bien.

🤙Et aujourd’hui ?
Je vis surtout de passion et je ne veux surtout pas que shaper des planches devienne comme un job.
Je veux avoir du plaisir, mais aussi avoir du respect pour ceux qui me commandent des planches. Je ne veux pas « rusher » le processus, juste parce que je dois livrer des tonnes de planches pour vivre.
En plus, je suis quelqu’un d’un peu « freestyle », je ne prends pas vraiment de mesures et je n’écris pas toujours mes recettes. Ce qui peut parfois s’avérer compliqué et me demander pas mal de temps.
Je n’aime pas non plus refaire à chaque fois les mêmes planches. J’aime bien repartir sur de nouvelles choses. Je n’ai pas vraiment de planche préférée par exemple. Je n’ai pas non plus de modèles vedettes, car j’aime dicter ce que j’ai envie de créer en fonction du surfeur, de la vague qu’il souhaite surfer et de son niveau.
Avant, je faisais beaucoup de commandes spéciales, mais maintenant je fais surtout des planches que j’aime surfer et que je peux ensuite adapter.
J’aime l’idée d’attendre de trouver la bonne personne pour chacune de mes planches et de pouvoir la conseiller au mieux. J’aime vraiment cette partie du travail de shaper. Suggérer des planches et accompagner un futur acheteur, quitte parfois à leur proposer une planche à l’opposé de ce qu’ils voulaient au départ. Mais je fais suffisamment confiance à mon jugement et à mes planches pour vendre des planches adaptées au surfeur ou à la surfeuse qui me sollicite.

🤙Peux-tu nous parler un peu de ton processus de création ?
Aujourd’hui, on est vraiment abreuvé de beaucoup d’images et c’est de plus en plus difficile d’être véritablement original car on a toujours l’impression de copier quelqu’un.
Aujourd’hui, je conçois davantage mes planches avec l’inspiration du moment. J’aime aussi beaucoup expérimenter et essayer de nouvelles choses et des nouvelles techniques. Par exemple, ces derniers temps, j’ai conçu plusieurs planches avec des gouttes d’encre parce que c’est cela qui m’inspirait et les retours étaient bons.
J’aime vraiment explorer et pousser le processus artistique et créatif assez loin. J’aime me réinventer et prendre du plaisir à shaper une planche pour quelqu’un.
J’aime imaginer la surfeuse ou le surfeur qui m’a commandé une board et anticiper sa réaction quand elle ou lui va la recevoir, puis la tester en rivière ou ailleurs.
